Le Pion a2
On m’a encore placé sur le bord…
Pas de chance, je dois encore attendre, sans
mot dire,
Contempler de loin heurts et affrontements,
Attendre mon temps,
Que l’on me mette aussi dans la bataille,
Que l’on me prenne aussi en considération…
Derrière moi, se tiennent la Tour et le
Cavalier de mon camp,
À coté, il y a un Pion comme moi.
La Tour et le Cavalier me snobent,
Et prennent leurs routes dès qu’il le faut,
Sans se soucier de moi.
Alors qu’avec le Pion d’à coté, j’ai facilement
trouvé un terrain d’entente
Et me suis facilement familiarisé.
Nous observons ensemble les événements se
déroulant loin devant nous
Et supportons ensemble nos tourments.
Il y a de grands affrontements presque partout.
On entend cris et gémissements.
On voit mourir nos combattants ainsi que ceux
de l’ennemi.
On voit, on entend, on supporte en attendant
notre tour pour livrer bataille.
Enfin, je reçois un premier ordre :
Je dois chasser le Fou adverse intrus dans
notre camp.
Mon premier pas est réussi : le fou recule.
Dans la foulée, le Pion d’à côté s’enhardit
Et bondit an avant de deux pas.
Moi, je le soutiens de derrière, mon copain le
Pion.
Le combat se poursuit
Et les camps s’amaigrissent au fur et à mesure.
Notre Roi se cache dans un coin,
N’osant pas pointer son nez dehors.
Ah ! Cela me fait mal au ventre : mon copain le
Pion se fait tuer…!
Choqué, je reste muet sur le coup,
Mais juste après, je me venge :
Avec ma lance, je transperce l’assassin de mon
copain
Et l’envoie au-delà de l’échiquier.
Le combat approche de sa fin.
Même les Rois sont sortis de leurs cachettes
pour se lancer dans la bataille.
Depuis la mort de mon copain le Pion,
Je vois rarement les membres de mon camps près
de moi,
Mais je sens leur soutien, même de loin :
Je sens que j’attire enfin leur attention,
Que j’ai une mission importante à accomplir,
Et je vais de l’avant, encouragé par ce
sentiment !
Le pas ultime n’est plus loin :
Je dois me transformer en Dame…!
Ma future ascension me réjouit d’avance.
C’est bien de cela que j’ai toujours rêvé au
fond de mon cœur :
Tellement je désirais être la Dame !
Le dernier pas...
J’ai des frissons : c’est par le chemin de mon
copain le Pion que je suis allé à Dame…!
J’y suis allé et je dois m’en aller : je dois
quitter le champs de bataille.
Mais qu’y a t-il ensuite…?!
Au lieu de la Dame,
C’est un Cavalier que l’on promotionne à ma
place…!
Je m’en indigne… Je sanglote…
On vient me rassurer, me disant :
Si tu t’étais transformé en Dame,
Nous aurions perdu.
C’est d’un Cavalier que nous avions besoin.
Et ce Cavalier a frappé si fort le Roi adverse
Que, le temps qu’il reprenne connaissance, nous
avons gagné une Tour
Et la bataille s’est achevée par notre
victoire…
Nous sommes vainqueurs.
On félicite notre maître, notre metteur en jeu.
Nous sommes vainqueurs,
Mais nous demeurons inaperçus et déçus.
Déçu – moi aussi :
Tellement je désirais être la Dame…
Phénix
265 - Septembre 2016
Par
Thémour TCHKHETIANI, poète et compositeur d'échecs
Traduit
du géorgien par B. CHABRADZE
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